LA PATINEUSE MAGIQUE

La patineuse magique a débuté avec Rashid Ourlami, comme femme lancée, accompagnée de brisors.

 

La patineuse magique, tournante sur ses pinceaux ailés, virevolte, rase le sol puis de proche en proche, se met à dessiner sur le sol à l'aide de son sang qui coule par grandes trainées, un dessin d'abord elliptique, entrecoupé de remontées vers les cintres où elle semble, contre toute loi de la pesanteur, reprendre de l'élan.
Enfin, exsangue, épuisée, elle vient s'écraser sur le sol, achevant enfin son dessin, soigneux entrelac de lettres qui composent le mot TOUJOURS.

 

La patineuse magique, aux bottes lumineuses, est plus fragile que la glace qu'elle raye sans vergogne : elle s'enfuit par tous les flocons et semblent fondre à mesure que son parcours se complique, et de fait, à peine rentrée dans les loges, on ne la trouve plus, n'était-ce qu'une petite flaque d'eau à l'odeur de sueur et de parfum, au pied de ses patins et de ses bottes remplis d'eau.

 

Une dompteuse ?

Dompteuse elle l'a toujours été. On se méprendrait sur elle, à penser qu'elle s'est improvisée dominatrice majeure : déjà sur la glace, à la surface pourtant dure, elle forçait la couche blanche et lisse à se courber à ses caprices, à ses tournants brutaux qui mettaient tous son public en émoi.

 

Et quand il lui a fallu dompter les hommes, qui se présentaient en masse sur le ring, certains d'en découdre avec cette femelle frêle et excessivement aguicheuse, elle n'avait même pas à lever la jambe pour user du tranchant du patin sur la gorge fraîche de son fanfaron ; un regard suffit, depuis ses yeux perdus dans les cintres qui surplombent infailliblement l'arène.

 

Araignée, elle l'est même sans s'en défendre : son existence même est une toile à mâles. c'est qu'elle est finalement d'une autre race, elle qui n'a pas son équivalent masculin : elle n'est que l'enveloppe trompeuse d'une femelle humaine spécialisée dans le patinage artistique, mais son métabolisme, ses appétits, ses instincts, tiennent plus du requin, de la sangsue, du félin, que de la femme.

 

Ni femme, ni araignée

La belle patineuse, aux jambes longues, est dénuée de tête et de sexe. Du reste, c'est inutile, car de ses seules jambes elle se saisit des hommes, qui succombent d'extase, auxquels elle laboure le dos, et elle les tue dans un dernier râle de plaisir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La fin d'une vie, la vie d'une fin

 

Mort devant elle, Ribolin le dur decrivit son combat ainsi : l'ombre, la trace, le souvenir, la fluidité, l'odeur de ses gestes étaient tels qu'une seule possibilité s'offraient à lui : s'y perdre, s'y donner entièrement, immédiatement.

 

Ce n'est pas tant pour une possession physique, toujours décevante, toujours recommencée, mais plus profondément un appel du bas de la colonne vertébrale, une sorte de peur primale, de pulsion motrice inéluctable, qui fait perdre tous les instincts de survie, de prudence élémentaire : se jeter dans la gueule du loup, voilà ce qui serait la meilleure description de son envie implacable.

 

Ce n'est même pas angoissant de se savoir pris au piège, de sentir ses griffes brusquement se tendre pour déchirer sa chair, c'est presque voluptueux, en tous cas Ribolin s'est senti pour ainsi dire anesthésié.

Les yeux ? l'odeur ? le désir ? impossible de le savoir.